Le « Canon » est un des derniers violons fabriqués par le célèbre luthier crémonais Giuseppe Guarneri ‘Del Gesù’. Ce véritable chef d’oeuvre a été réalisé en 1743, précédent d’une année le décès de son créateur. Il s’agit aujourd’hui d’un instrument qui est entré dans la légende grâce à un musicien non moins légendaire : Niccolo Paganini. La relation qu’entretenaient l’artiste et son compagnon musical était très fusionnelle. On pourrait même dire que ces quelques planches d’érable, d’ébène et d’épicéa ont complètement influencé le virtuose, lui dictant un style et une personnalité propre. Pourtant le brillant soliste a lui aussi laissé son empreinte, presque indélébile, sur le violon. C’est alors ce que nous verrons dans cet article, comment faire parler le Canon !

 

Faire parler le Canon, depuis sa cage de verre.
Faire parler le Canon, depuis sa cage de verre.

 

Brève histoire du Canon

Le mythe qui entoure la fameuse collaboration entre le violoniste et sa pièce d’artillerie à quatre cordes aurait été presque incomplet si l’histoire même de la création du violon n’avait pas été si romantique. Le Canon est en effet un des derniers instruments à avoir été fabriqué par le maître luthier crémonais en 1743. Giuseppe a en effet été emporté par la maladie au cours de l’année suivante, à l’âge de 46 ans. Une carrière courte, même pour l’époque, si l’on compare avec un de ses confrères, Antonio Stradivari, qui vécu 93 années. Un parcours somme toute semblable à tellement d’autres génies qui ont marqué l’histoire.

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Le surnom « Del Gesù » et le monogramme IHS en référence à Jésus ont été vraisemblablement adopté par le luthier pour se différencier du travail de son père, lui aussi nommé Giuseppe.

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Bien qu’aujourd’hui, les violons signés du célèbre monogramme IHS sont parmi les plus prisés chez les musiciens et les collectionneurs. Atteignant sans problèmes des montants toujours plus vertigineux qui se comptent souvent en dizaine de millions de dollars. À l’époque, pourtant, l’atelier d’Antonio Stradivari était d’une importance telle, qu’il éclipsait tous les autres artisans, les forçant très souvent à déménager ou à exercer leur métier qu’en tant qu’activité secondaire.

 

Le tempétueux Guarneri del Gesù

Dans ses jeunes années, les instruments de del Gesù montraient tout son talent car ils étaient parfaitement réalisés. Pourtant, on y apercevait déjà ses élans créatifs dans lesquels il s’éloignait des archétypes de l’époque pour expérimenter et se forger un style propre. Puis, son travail se dégrade progressivement au fil des années, des formes sauvages, des finitions aléatoires et des asymétries évidentes. Cependant, malgré une apparence parfois décriée voir moquée, chaque instrument n’en demeure pas moins de véritable chef-d’oeuvre. Un travail rempli de passion et un geste précis digne d’un grand maître. Mais comment alors expliquer cette décadence progressive ?

Le génie de Guarneri

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La légende relate de nombreuses histoires sur la vie fougueuse d’un del Gesù colérique et alcoolique. Il aurait été emporté par une folie meurtrière avant de continuer à fabriquer des instruments depuis sa cellule, en prison. Ce qui pourrait effectivement expliquer de manière digne d’un roman cette évolution.

Toutefois, la réalité pourrait être complètement différente et beaucoup plus terre à terre. Les difficultés financières endurées par le luthier nous le présenteront plutôt comme quelqu’un de surmené et hâtif plutôt qu’instable et lunatique. Plus tard, la maladie s’ajoutera au stress et à la précipitation pour donner les résultats que nous en connaissons.

Enfin, il reste un détail sur lequel les experts s’accordent pour expliquer l’inconstance et la diversité du travail de del Gesù. Sa femme, Katarina, aurait pris part au travail de son mari pour l’aider à terminer ses instruments. Il est même possible que certaines de ses œuvres les plus tardives aient été majoritairement réalisée de sa main.

On retrouve sur le violon de Paganini des indices qui nous indiquent que Katarina aurait travaillé dessus. Par exemple, la volute, caractéristique et très masculine du Canon qui s’oppose parfaitement à l’élégance féminine des enroulements du maître luthier.

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Le cachet de cire rouge que l’on aperçoit sur la coulisse de la volute est celui de la ville de Gênes. Il était précédemment apposé au milieu du dos de l’instrument. On peut même deviner son ancienne position car le vernis a été endommagé à cet endroit.

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Faire parler le Canon

Paganini est entré en possession de son fameux violon en 1799. L’histoire dit qu’ayant perdu son Niccolo Amati (un autre luthier illustre de Crémone) aux jeux, le virtuose s’est retrouvé bien embêté pour sa représentation qui devait avoir lieu le soir même. Un marchand de Livourne aurait alors proposé de lui prêter un instrument pour le dépanner. Après le concert, lorsque Paganini retourna son bien à son bienfaiteur, celui-ci avait été tellement impressionné par la prestation surhumaine du musicien qu’il déclara : « Jamais plus les mains de simples mortels ne devraient toucher ce violon. Il est maintenant vôtre »

C’est ainsi que le jeune prodige, alors âgé de 17 ans, fit acquisition de l’instrument qui allait l’accompagner tout au long de sa carrière et marquer l’univers de la musique à tout jamais. Il le nomma lui-même par la suite « Il Cannone » (que l’on traduit en français par « Le Canon ») en raison de l’extrême puissance que le violon dégageait même dans les vastes salles de concert.

À sa mort, Paganini offrit le Canon à sa ville natale : Gênes qui le conserva précieusement. Bien que toujours exposé, il n’est joué qu’en de très rares occasions. C’est pour cela que l’empreinte du grand soliste italien est encore très présente à la surface, mais aussi au plus profond des fibres du bois. Nous allons donc essayer de faire parler le Canon et le persuader de nous raconter l’histoire des quatre décennies à travers lesquelles il a accompagné le musicien.

 

Le Canon

 

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Particularités

  • Dos : Deux-pièces
  • Vernis : Rouge
  • Longueur : 35.4 cm
  • Largeur haute : 16.8 cm
  •  » médiane : 11.1 cm
  •  » basse : 20.7 cm

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Ce que nous apprend le Canon

Pour faire parler le Canon, il faudra non seulement écouter ce qu’il va nous dire et où il va nous emmener avec la musique. Mais il y a aussi tout un langage et une histoire qui se cachent au creux de chacune de ses courbes, cicatrices, défauts. Des détails qui pourront nous en apprendre d’avantage sur son fabricant, mais aussi sur le musicien qu’il aura suivi pendant le plus longtemps : Niccolo Paganini.

 

Les épaisseurs & voûtes

Les épaisseurs des voûtes sont plutôt importantes sur le violon. Elles culminent à 6,2mm sur le fond et 3,4mm au centre de la table. Comment peut-on alors expliquer les prouesses sonore d’un instrument qui semble d’un poids aussi considérable ? Celui-ci a été pesé à 434g avec le montage, ce qui n’est pas excessivement lourd, mais pas vraiment léger non plus.

En fait, tout le génie de Guarneri s’exprime dans les courbes des voûtes qui ont été exceptionnellement réfléchies et travaillées avec attention. Il en découle une structure parfaitement solide qui explique non seulement la longévité de l’instrument, mais aussi la puissance qu’il dégage. En même temps, le musicien devra vraiment donner de sa personne pour pouvoir faire chanter le Canon.

 

Le vernis

Le vernis est non seulement un élément fabuleux de l’instrument. Mais il a aussi capturé avec une fidélité photographique les nombreuses habitudes du musicien. On peut ainsi les deviner en examinant sa condition de plus près.

Faire parler le Canon - Les éclats de vernis se retrouvent d'un côté improbable de la touche.
Faire parler le Canon – Les éclats de vernis se retrouvent d’un côté improbable de la touche

À première vue, Paganini était vraiment très protecteur avec son instrument. C’est ce que disent certaines histoires qui nous sont parvenues. Néanmoins, il semblait aimer lui conserver une apparence assez brute et il ne le nettoyait sans doute pas aussi souvent qu’il l’aurait fallu. C’est d’ailleurs pour cela que l’on observe cette couleur très sombre au centre de la table. À cet emplacement précis s’accumule toute la poussière de colophane, tombant telle de la neige, depuis les cordes frottées avec passion. Celle-ci d’abord blanche, va réagir progressivement avec l’environnement et former une croûte brune épaisse qu’il sera presque impossible de séparer du vernis. Il ne lui aurait fallu que quelques secondes pour passer un foulard de soie de temps à autre…

 

Des traces d’une impressionnante virtuosité

Si on observe attentivement les marques autour de la touche. On observe des éclats et des abrasions de vernis tout autour de la touche. Cela est parfaitement normal chez un virtuose dont les doigts s’aventurent si haut et à toute allure sur cette autoroute d’ébène. Cependant cela est normal du côté des aiguës, car c’est généralement là que les doigts se posent. Mais alors pourquoi sur le Canon ces marques se trouvent-elles des deux côtés de la touche ? Elles laissent supposer des techniques tout à fait acrobatiques dans lesquelles la main gauche approcheraient les cordes du côté des graves.

En même temps, cela pourrait aussi être le côté guitariste de Paganini qui s’exprimait. En effet, si on joue le violon comme on le ferait avec une guitare, le pouce aurait tendance à s’appuyer sur la touche pour « gratter » les cordes avec les doigts.

L’absence totale de vernis au niveau du menton et de l’épaule nous montre dans quelle position le virtuose devait tenir son instrument. En plus de suggérer les zones qui étaient en contact répétée avec ses mains ou son corps, notamment au niveau du manche et des éclisses.

 

Élévation, manche et diapason

Le Canon possède encore son manche d’origine, ce qui est assez remarquable. Celui-ci a pourtant été modifié à l’époque de Paganini pour être allongé. Bien que ce changement le rapproche beaucoup d’un montage moderne. Le manche est encore maintenu de manière très transitionnelle à l’aide d’un clou, comme c’était la coutume à la fin du XVIIIe siècle. L’élévation et la longueur du manche ont quant à eux été modifiés en ajoutant de nouvelles pièces de bois à la pièce d’origine. La caisse de résonance et la table sont néanmoins intactes et exempt d’entures.

  • Élévation du Canon : 25,5mm (par rapport aux 27mm d’un montage moderne)
  • Longueur du manche d’origine : 125mm
  • Longueur actuelle : 128,5mm
  • Placement du chevalet : 198mm (195mm pour le standard)
  • Diapason : 330mm

Bien que la longueur vibrante soit dans la normale, de nombreux détails peuvent prendre par surprise un musicien habitué à un montage moderne.

 

Chevalet

Ce petit chevalet en érable ondé est d’une origine tout à fait mystérieuse. Il ressemble lui aussi à un fier exemple de la période transitionnelle mais pourrait être plus ancien. Il reste cependant que très peu d’instruments d’époque dans leur condition d’origine, c’est pour cela qu’il est difficile de vraiment attribuer l’origine d’éléments amovibles. Néanmoins, certaines collections de chevalet anciens montrent des modèles très similaires qui semblaient être en vogue au nord de l’Italie dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Quoi qu’il en soit, Paganini devait certainement apprécier ce chevalet car il serait resté sur le Canon malgré les modifications du manche et un remplacement de touche. On remarquera que les pieds du chevalet son minuscules. D’ailleurs, la taille de ceux-ci devaient grandement aider le virtuose à repositionner son chevalet. Les marques autour du chevalet sont plutôt prononcées et semblent indiquer que le musicien devait sans cesse ajuster la longueur vibrante à ses besoins.

D’autre part, la courbe supérieur du chevalet est vraiment très plate. Ce qui devait permettre des prouesses techniques tout à fait remarquable mais aussi demander une infinie précision. L’espacement entre les cordes est quant à lui plutôt important (35mm au lieu de l’habituel 33,5mm)

 

 

Faire parler le Canon - Le chevalet joué et l'élongation du manche de Paganini.
Le chevalet et l’élongation du manche joués par Paganini.

 

La touche

La touche a été remplacée lors d’un passage de Paganini à Vienne en 1828 chez le luthier Nikolaus Sawicki. Celle-ci a en effet été signée et datée à l’époque sur sa partie inférieure.

Parce que la surface du manche est presque d’équerre avec la structure d’éclisse (88°) et sa surélévation de 4.5mm (comparé aux 6mm moderne), il aurait été impossible de rendre les cordes jouables sans donner un angle supplémentaire à la touche. C’est pourquoi elle conserve encore cette forme baroque caractéristique.

Bien que la surface ait été restaurée depuis, les passages de rabot ont tout de même conservé les courbes originelles qu’a utilisé le violoniste autrefois. On remarque alors que la partie haute de la touche est bien plus ronde que les standards actuels. À l’opposé la partie basse (proche du chevalet) était beaucoup plus plate. Ce sont des courbes qui se reflètent aussi sur le chevalet.

Enfin, la longueur de cette touche est de 262mm, ce qui est typique du XIXe siècle et de quelques millimètres plus court que les mesures admises aujourd’hui. Il faut dire que les notes les plus aiguës étaient alors jouées au delà de la bordure de la longue pièce d’ébène.

 

Le sillet

Le sillet en os que l’on apperçoit culminer tout en haut de la touche n’est plus d’origine et a été ramené à un écart de cordes plus standard, aux alentours de 16,5mm. Par contre, d’anciennes photographies montrent un écart beaucoup plus important à l’époque avant qu’il fut restauré pour la première fois en 1937. D’après les proportions, on imagine cet écart à environ 20mm, ce qui est énorme. Il ne faut néanmoins pas oublier que Paganini utilisait uniquement des cordes en boyau non filées. Elles étaient évidemment d’un diamètre bien supérieur à celles que nous avons aujourd’hui.

 

"Il Cannone" exposé dans la salle Paganini à Gênes.
« Il Cannone » exposé dans la salle Paganini à Gênes.

Le Canon aujourd’hui

Depuis qu’il a été légué à la ville de Gênes en 1851, « Il Cannone » est considéré comme un véritable trésor. Il est exposé avec son jumeau, la réplique qui en a été faite par Jean-Baptiste Vuillaume, dans l’hôtel de ville. Bien qu’il ne soit pas constamment joué, il est tout de même régulièrement sorti de sa cage de verre. Comme prêté en de rares occasions à des expositions internationales, c’est aussi une récompense du concours Premio Paganini. En effet, le violoniste remportant le premier prix se verra attribué le droit de jouer le Canon.

Mais de manière générale, il passe une retraite au calme avec toute l’attention qu’un violon mythique peut demander.

 

Partenariat avec I am Romantic!

La violoniste et blogueuse italienne Olivia Steindler
La violoniste et blogueuse italienne Olivia Steindler sur son blog : I am romantic!

Olivia Steindler est une violoniste italienne passionnée par Paganini et le mouvement romantique. Elle décrit ses aventures musicales à travers le monde et nous parle de romantisme dans son blog I am romantic! Que vous pourrez découvrir dans non moins de 4 langues (français, anglais, allemand et italien). Je vous invite à aller l’y retrouver, car elle a vraiment beaucoup de choses intéressantes à dire sur le sujet.

Vous pourrez notamment lire le premier chapitre de sa saga à propos du virtuose génois. Vous y découvrirez de nombreux détails sur la vie et le parcours du musicien.

Une série de collaborations

C’est au cours d’une discussion que nous avons décidé d’écrire de manière collaborative. Paganini est un personnage tellement emblématique qu’il a changé la façon dont on concevait la musique. Mais bien au delà de ça, il a aussi influencé la façon de jouer et donc les besoins des musiciens en matière de lutherie. C’est pour cela qu’il y aura surement d’autres articles sur le sujet !

Voici en tout cas ma première contribution à cette saga. J’espère qu’elle vous aura plu, et n’oubliez pas de partager votre ferveur pour Paganini dans les commentaires !

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