Le titre paraît dramatique, mais la réalité ne l’est pas moins. Une nouvelle est sortie hier et elle a fait l’effet d’une bombe dans la petite communauté des luthiers du monde entier. Pour résumer la situation, l’école internationale de lutherie connue sous le nom de Newark & Sherwood Violin Making School, ou plutôt ses représentants, ont annoncé que les années de Fondation et la 1ère année n’auraient aucun élève en 2025. En d’autres termes, les élèves actuellement dans l’école sont peut-être la dernière fournée de luthiers qui fouleront les parquets de cet établissement mythique. Est-ce la fin d’une ère de lutherie ?

La fin d’une ère de lutherie

L’école de Newark, pour résumer, est une des institutions d’envergure internationale, qui a vu passer sur ses établis un grand nombre de luthiers extrêmement célèbres et reconnus aujourd’hui. Fondée en 1972 sous la direction d’Eric Ashton au Newark Technical College, elle comprenait alors trois sections :

  • Violin Repair & Construction menée par Maurice Bouette
  • Piano Maintenance, Repair and Tuning menée par David Taylor
  • Woodwind Repairs and Restoration menée par Louis Rousseau.

Cette école nouvellement créée était alors soutenue par des figures importantes telles que Yehudi Menuhin, Charles Beare dont l’actualité récente n’a pas été plus joyeuses, et John Dankworth.

Bien entendu, je ne parlerai ici que de la partie concernant les violons. Mais les deux autres sections sont d’égale importance, autant dans l’économie musicale de la Grande-Bretagne, que pour celle de l’Europe et du reste du monde.

L’histoire de la création de l’école

L’émergence de l’école de Newark est grandement due à Maurice Bouette, descendant d’une famille de musiciens et d’artisans. Par intérêt pour le violon et sa construction, celui-ci se retrouva à fréquenter les cours du soir de William Luff à Ealing.

Au bout d’un certain temps, Maurice prit une part active dans ces cours du soir, sûrement extrêmement motivé par sa passion de transmettre, et remplaça finalement William.

C’est en 1971 qu’il répondit à une annonce dans The Strad, c’était en fait celle que postait Eric Ashton, alors principal du Newark Technical College et qui souhaitait créer une école spécialisée dans les métiers des instruments de musique. C’est alors que l’école ouvrit ses portes dans une partie (minuscule) et désaffectée de l’école.

Maurice BOUETTE

La portée internationale de l’école

L’aspect international d’une école de la campagne anglaise, au plein cœur de la forêt de Sherwood, est hautement improbable. Contrairement aux autres écoles européennes, qui s’inscrivent dans la tradition centenaire de villes réputées pour la lutherie, et qui la mettent en avant de toutes les façons possibles, rien ne laisse supposer que cette école soit un phare de connaissance et de transmission dans le monde.

Photo des élèves et professeurs en 1978 avec Maurice Bouette, Glenn Collins et certains reconnaîtront : John Dilworth, Roger Hargrave, Julie Reed-Yeboah, Andrew Fairfax, Koen Padding and Helen Michetschläger.

Depuis les années 1970, des étudiants du monde entier sont attirés par la qualité de l’enseignement et la réputation de cette école. Ces jeunes luthiers, retournant ensuite dans leur pays ou voyageant, transmirent par-delà les frontières l’héritage dont ils ont bénéficié au cœur des Midlands. Selon les statistiques internes, près de 77 % des élèves sont allés travailler dans quelque 37 pays différents après leurs études.

Une éducation à part

Les principes de Maurice Bouette

Je m’attends à ce que chacun de ceux qui partent soit capable de trouver un emploi et de gagner sa vie, et cela s’est avéré être le cas. Je ne pense pas que beaucoup d’entre eux gagneront leur vie uniquement en fabriquant des instruments, car ils doivent être exceptionnellement doués pour cela, mais il y en aura quelques-uns qui y parviendront. Je pense également qu’avec un nombre croissant de bons instruments disponibles, le monde deviendra plus sélectif quant à ce qu’il accepte et finalement, seuls les meilleurs instruments seront les bienvenus. Ceux-ci doivent avoir un bon son, un aspect classique et être bien finis, afin qu’ils soient beaux, avec des lignes fluides ; cela leur donnera toujours un avantage sur quelque chose de médiocre.

Maurice BOUETTE – 1978

L’enseignement à Newark

L’enseignement dans cette école est assez différent de ce qui se pratique habituellement, d’une manière assez anglo-saxonne où la liberté est très présente, voire trop présente. En effet, loin de l’enseignement strict que pourraient prodiguer d’autres écoles, l’environnement newarkais était plutôt basé sur les confrontations et l’échange. Ainsi, les étudiants qui venaient de cultures, de traditions, mais aussi de générations différentes étaient rassemblés dans un environnement scolaire tout aussi hétéroclite où chaque professeur apportait sa propre vision.

Autant vous dire que cela pouvait rendre le propos assez confus pour les plus jeunes d’entre nous qui étaient sans cesse ballottés entre des méthodes et opinions différentes. Cependant, cela permettait de créer un esprit critique, indépendant et individuel qui pouvait avoir aussi ses avantages dans le métier.

Au-delà de ça, l’enseignement, très pragmatique et basé autour de l’établi, permet de forger de bonnes habiletés dans le maniement de base des outils. Sans oublier l’accent mis très rapidement sur les réparations et la restauration, qui permit d’exposer les élèves à la réalité du métier bien avant leur entrée dans le monde professionnel. Ce qui n’est tout simplement pas le cas des autres écoles.

Mon expérience à Newark

Pour ma part, mon temps à Newark a été une expérience incroyable. Depuis mon arrivée en août 2018 jusqu’à mon départ en juin 2022, ce n’a été qu’un enchaînement d’événements et de rencontres, plus marquants les uns que les autres, et qui influencent aujourd’hui ma vie au quotidien.

D’ailleurs, la marque de l’école anglaise est très présente à Strasbourg, et ses représentant sont nombreux. C’est d’ailleurs le cas dans beaucoup d’autres villes d’Europe et du monde. C’est un lien que nous partageons et qui nous rapproche au delà des frontières.

Comment recommander l’école ?

Je ne peux pas, bien entendu, comparer avec une autre expérience que j’aurais fictivement vécue dans une autre école, au contact d’une autre culture, et dans d’autres circonstances… Et je ne peux donc parler que de ma réalité… Une réalité qui me paraît aujourd’hui très lointaine alors que le Brexit, et maintenant la possible fermeture de l’établissement, m’ont de moins en moins donné l’opportunité de recommander aux jeunes générations de suivre mes pas dans l’apprentissage de la lutherie à Newark.

En effet, même si j’aurais encore pu, il y a quelques années, ne pas tarir d’éloges face à l’opportunité éducative que représentait la NSVM, mon point de vue a progressivement changé au fil des ans.

Principale raison, pas forcément la qualité de l’enseignement, qui est toujours discutable, même si beaucoup sont victimes du “c’était mieux de mon temps”. En fait, pour moi ce serait plutôt la perte de cette ouverture internationale et l’augmentation des frais de scolarité, ainsi que certains choix de management qui entraînent actuellement le déclin de l’école.

Est-ce la fin d’une ère de lutherie ?

Malgré l’impact incroyable qu’a eu l’écosystème de Newark sur la profession durant les 50 dernières années, peut-être que cette histoire tourne actuellement ses dernières pages. Ainsi, depuis hier, les différents acteurs se mobilisent et cherchent du soutien à travers le monde pour entretenir la flamme. Toutefois, est-ce que cela va réellement changer la donne ?

La lutherie de l’école anglaise rayonne dans le monde entier, pas forcément par sa production elle-même, mais par son savoir-faire et l’expertise de ses ateliers, notamment londoniens, qui influencent encore de nos jours le monde entier. La question qui se pose maintenant est : dans quelle mesure la perte de cette école va-t-elle impacter le monde de la lutherie et de la musique ?

Similar Posts

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *