La lutherie et l’archèterie végane

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Le mode de vie végan peut être abordé de différentes façons. Il y a d’abord le cas où le consommateur se refuse d’ingérer quoi que ce soit d’origine animale. Cet article ne traitera absolument pas de ce sujet, mais plutôt du second aspect du véganisme : le refus d’utilisation de toutes les substances issues de l’élevage, de l’abattage, de la chasse ou de la pêche. Nous verrons alors ensemble si la lutherie et l’archèterie végane sont réellement envisageables dans le cas des instruments du quatuor.

 

la lutherie et l'archèterie végane n'est pas un sujet aussi évident qu'il n'y paraît.
La lutherie et l’archèterie végane n’est pas un sujet aussi évident qu’il n’y paraît.

 

Le guide de la lutherie et l’archèterie végane

Les musiciens sont le plus souvent des personnes d’une grande sensibilité avec le monde qui les entoure. C’est pourquoi certains d’entre eux se retrouvent confrontés à la question du véganisme. Pour ce qui est de certains instruments, il est très simple de leur trouver une alternative végane. Néanmoins pour les instruments du quatuor et leurs archets, tous issus d’une tradition plusieurs fois centenaire : la réponse n’est pas aussi évidente. Ils sont en effet encore aujourd’hui soumis aux mêmes techniques de fabrications artisanales.

C’est pourquoi nous verrons dans cet article pourquoi certains violonistes, altistes ou violoncellistes décident tout simplement d’arrêter la pratique de leur instrument afin d’être en accord avec leurs convictions. Et surtout, nous découvrirons s’il existe pour eux une solution qui leur permettrait de jouer sur les meilleurs instruments et archets sans pour autant renier leurs valeurs.

Il est cependant difficile d’imaginer remplacer certains des éléments des instruments ou archets prestigieux sans en amputer considérablement la valeur. C’est pour cela qu’il sera généralement question de fabrication ou d’achat plutôt que de modification ou transformation.

 

Les éléments d’origine animale d’un violon

Le violon, l’alto mais aussi le violoncelle sont principalement constitués de bois. Toutefois certains de leurs composants fondamentaux, parfois même insoupçonnables, sont réalisés à partir de matière animale. Découvrons point par point de quels éléments il s’agit et qu’est-ce qui nous éloigne de la lutherie et l’archèterie végane.

 

La colle animale

Les quelques 80 pièces qui constituent un violon sont presque toutes assemblées par collage. Cet adhésif traditionnel est utilisé depuis des centaines d’années par les travailleurs du bois. Parmi ses caractéristiques fabuleuses :

  • Lien extrêmement fort entre deux pièces de bois
  • Parfaitement réversible, peut être réactivée pour décoller et recoller
  • Très bonne conduction acoustique grâce à sa structure cristalline une fois sèche.

Il s’agit du plus gros problème à l’adoption d’une lutherie complètement en accord avec les principes véganes.

 

Les alternatives à la colle animale

Une colle de riz, autrefois appellée “sokui”, était utilisée comme adhésif pour assembler des pièces de bois de la période Nara au Japon (710 – 794). La colle sokui a été utilisée lorsque les artisans ont cessé d’utiliser la colle animale, suite à l’introduction du bouddhisme et par conséquent l’interdiction de la boucherie.

 

Bien que ce ne soit pas la solution idéale à cause du caractère irréversible de ces colles. Il est possible d’utiliser de nombreux adhésifs synthétiques en lutherie. Par exemple, la colle Titebond est très utilisée par de nombreux luthiers mais son utilisation est vraiment très limitée. En fait, il est très simple d’assembler un instrument avec ces produits, mais celui-ci serait très difficilement réparable par la suite.

En effet, le côté réversible de la colle animale permet la longévité que l’on connait du violon, de l’alto ou du violoncelle. C’est grâce à elle que l’instrument peut-être démonté, restauré et entretenu pour durer des siècles.

Il existes des colles végétales utilisées depuis des siècles à base de farines diverses. Reste à voir quelle serait leur utilisation potentielle en lutherie, leur tenue et éventuellement leur réversibilité. J’effectuerai peut-être des essais à l’occasion et vous en ferai part dans un autre article.

 

Quelques exemples de colle végétale

  • Colle d’amidon, créée à partir de farine de blé mélangée à de l’eau ou l’eau de cuisson du riz 
  • Pâte de cordonnier, une recette à base d’eau et de fécule utilisée pour les collages du cuir dans les chaussures
  • Colle de résine, extraite de sapins et de conifères
  • Adhésif à base de gomme arabique, extrait des acacias gommiers et dissout dans de l’eau.

Si certains d’entre vous ont des connaissances sur le sujet, n’hésitez pas à les partager dans les commentaires.

 

 

Les cordes

Les cordes en boyau équipent les instruments depuis des centaines d’années. Il existe même des preuves de leur utilisation dès l’Antiquité. Elles sont fabriquées, comme leur nom laisse supposer, à l’aide des intestins de certains animaux. Bien que de nombreuses personnes pensent que ces cordes soient conçues grâce à des tripes de chat, il s’agit en fait la plupart du temps de mouton.

Aujourd’hui, ces cordes sont encore très populaires en raison de la sonorité très particulière qu’elles proposent. Elles sont également les plus chères en raison de leur méthode de fabrication. De plus, elles ont la fâcheuse tendance d’être imprévisibles. En effet, elles sont très sensibles aux conditions atmosphériques et très inconstantes quant à leurs résultats. Il faut parfois plusieurs jeux de cordes pour pouvoir les appairer.

 

Les alternatives véganes aux cordes en boyau

Il existe aujourd’hui de nombreuses alternatives aux cordes en boyau. Il existe principalement les cordes en métal et les cordes synthétiques et celles-ci sont non seulement plus abordables, mais aussi plus stables et durables. Niveau sonorité, elles conviennent aussi très bien à tous les types de musiciens, même les plus grands solistes internationaux. Il n’y a donc aucune raison de les éviter.

Je recommande particulièrement les cordes Warchal dans ma boutique en ligne. Celles-ci sont non seulement utilisables par tous les musiciens végan, mais en plus leur fabricant est très impliqué dans l’écologie et le recyclage. Sans compter que leur sonorité est vraiment fantastique !

 

 

Le vernis

La plupart du temps, les vernis sont créés à partir de résines et de minéraux, parfois les deux en même temps (l’ambre par exemple est une résine fossile). Mais il existe certains cas où les résines et les pigments sont le produits de petits insectes.

Par exemple, la gomme laque qui est la base du vernis à l’alcool est produite par un petit animal. Il s’agit en fait de la sécrétion d’une cochenille asiatique (kerria lacca). qui se nourrit de la sève de certains arbres. Elle les recouvre d’un polymère naturel qui est ensuite récolté par l’homme et utilisé dans l’industrie ou l’artisanat. Cette exploitation est parfois létale pour l’insecte.

Par ailleurs la cochenille peut aussi être utilisée comme colorant dans les vernis. Les pigments de couleur rouge sont alors obtenus en broyant les insectes et en les incorporant au vernis. D’ailleurs, il s’agit d’un insecte qui se retrouve très souvent dans nos assiettes puisque c’est aussi un colorant alimentaire (le fameux E120). On le retrouve dans des bonbons, des saucisses, la croûte de certains fromages, des boissons, des yaourts, des médicaments… Mais c’est un autre sujet !

 

Les alternatives véganes au vernis à l’alcool

À vrai dire, les vernis à l’huile ne sont pas sensés contenir de matière animale (excepté peut-être quelques moustiques contenus dans l’ambre). C’est un type de vernis qui est très répandu dans le monde de la lutherie, donc très facile à trouver, peu importe la gamme de prix. Quant aux pigments, il existe tellement d’alternatives à la cochenille, que ce soit d’origine minérale ou végétale, que je ne vais même pas prendre le temps de vous les énumérer.

 

Les ingrédients à bannir du vernis pour la lutherie et l'archèterie végane
Parmi ces ingrédients qui servent dans l’élaboration du vernis, saurez vous reconnaître les produits d’origine animale ?

 

Les sillets, ornements et accessoires

Il ne s’agit que de rares exceptions, généralement la plupart des sillets, ornements et accessoires sont totalement en bois.

Dans certains cas très rares, les instruments peuvent être ornés de nacre, d’os ou d’ivoire, mais cela reste marginal et très facilement identifiable. On retrouve notamment des éléments de nacre, d’ivoire ou d’os dans certains filets et ornementations de touches. D’autre part certains sillets étaient parfois réalisés en os ou en ivoire.

Les chevilles, boutons, cordiers et autres accessoires possèdent parfois des incrustation en nacre, en os ou même en ivoire.

 

 

Les éléments d’origine animale sur un archet

Bien qu’ils soient de somptueux objets richement ornementés par des maîtres artisans, les archets sont néanmoins presque totalement recouverts d’éléments d’origine animale. Tout d’abord, il y a évidemment la mèche qui est constituée de véritable crin de cheval mais on retrouve également de l’os, de la nacre, de l’ivoire d’éléphant ou de mammouth mais aussi du cuir ou de la soie. Par rapport aux soixante grammes que pèse environ un archet de violin, la concentration est plutôt importante.

La lutherie et l'archèterie végane - les parties de l'archet
Voici un schéma qui vous permettra d’identifier les différentes parties de l’archet.

 

Le crin de cheval

Le crin est un des principaux éléments organiques d’origine animale sur l’archet. Ce sont des crins de chevaux, principalement d’étalons des steppes asiatiques qui sont prélevés en abattoirs. Une queue de cheval met de nombreuses années à pousser et pour celle-ci devient assez longue pour remécher un archet au bout de 15 ans. Heureusement, il existe des alternatives de très bonne qualité !

 

Coruss, une alternative végane au crin naturel

Cela peut paraître surprenant, mais il existe au moins une alternative au crin de cheval naturel. Il s’agit en fait tout simplement du crin synthétique. Celui-ci est encore relativement méconnu et possède une mauvaise réputation à cause peut-être de précédents essais complètement ratés : notamment à destination des archets très bas de gamme. Pourtant depuis quelques années, le fabricant français Coruss a développé une fibre synthétique aux caractéristiques presque incroyables.

 

Après avoir appris le violon il y a une vingtaine d’années, j’ai récemment décidé de m’y remettre, c’est un instrument que j’adore et qui me manquait. Seulement entre temps je suis devenue végétarienne, et l’utilisation de crin de cheval me retenait grandement… J’ai enfin pu ôter ce poids et redonner libre cours à ma passion grâce à la découverte du crin synthétique.

Julie D.

 

Si vous ne connaissez pas encore le crin synthétique Coruss, je vous invite à le découvrir dans cet article :

 

La plaque de tête

La plaque de tête est une petite épaisseur d’os ou d’ivoire qui permet de renforcer cette partie très fragile de l’argent. Sans elle, la tête ne pourrait sans doute pas résister à de nombreux reméchages. Heureusement, les alternatives sont abondantes et il n’est pas rare de voir des métaux précieux sur les archets les plus prestigieux. De même, il existe aussi des ivoires à base de végétaux qui sont utilisés. Enfin, sur les archets les plus bas de gamme l’alternative du plastique existe aussi.

 

La hausse

Dans le pire des cas, une hausse pourrait être en ivoire et richement ornée de nacre, mais c’est en fait plutôt rare. D’habitude celle-ci est taillée dans un bloc d’ébène et contient principalement deux éléments en nacre :

  • Une pastille, sur chaque face. Celle-ci peut être rehaussée par un halo de métal, en or, argent ou maillechort : dans ce cas on parle d’œil parisien.
  • Le recouvrement dont fait parti la plaque coulissante qui cache le calage du crin dans la hausse.

Il existe là aussi de nombreuses alternatives qui permettent à une hausse d’être utilisable par un musicien végan.

Dans le cas de la pastille, il est tout simplement possible de l’ignorer, il existe des archets où celle-ci est totalement absente et cela ne choque pas. Il s’agit par contre très souvent d’archets assez bas de gamme. Par contre il est aussi possible d’orner les hausses avec des métaux, cristaux, du bois. C’est ce à quoi s’essaient de nombreux archetiers modernes qui proposent un design épuré et alternatif.

Pour le recouvrement, certains archetiers proposent aussi des versions totalement en bois ou en métal.

 

Le bouton

Le bouton est généralement en métal, parfois accompagné de bois. Dans certains cas, une pastille de nacre est présente au sommet de celui-ci. Il est assez simple de remplacer, éventuellement soi-même, cette vis pour une autre ne possédant pas de nacre. Il faudra simplement vérifier que le filetage de la vis corresponde à l’œillet en laiton de la hausse.

 

La poucette

La poucette est ce petit coussin de cuir qui se trouve entre la garniture (le fil d’argent ou de maillechort) et la hausse de l’archet. Celle-ci est généralement un morceau de cuir de 0.6mm à 1mm d’épaisseur et peut provenir de différentes espèces animales.

Il existe des tubes de caoutchouc qui se glissent sur la baguette et permettent de remplacer facilement une poucette en cuir. Mais il s’agit vraiment d’une solution assez bas de gamme, et qui ne serait vraiment pas digne d’un archet haut de gamme. Il existe cependant certains cuir synthétiques ou végétaux qui mériteraient d’être essayés dans cette utilisation :

  • Pinatex, le cuir de fibres de feuilles d’ananas
  • Le liège mais aussi le cuir de liège
  • Muskin, le cuir de champignon
  • Le cuir synthétique ou simili-cuir
  • L’alcantara, le tissu synthétique au toucher pêche.

 

La garniture

La garniture est ce bobinage de fil d’or, d’argent ou de maillechort que l’on retrouve au dessus du talon. Bien que l’on puisse penser qu’il s’agisse uniquement de métal, le fil est parfois composé de soie afin de réduire au minimum la densité du fil pour mieux contrôler l’équilibre ou le poids de l’archet.

 

 

Est-ce que la lutherie et l’archèterie végane est réellement possible ?

la lutherie et l'archèterie végane est possible grâce au carbone
Un violon entièrement en carbone

Comme vous avez pu vous en rendre compte à travers cet article, il y a de nombreux obstacles pour arriver entièrement à la lutherie et l’archèterie végane. Heureusement, il existe aujourd’hui de nombreuses alternatives synthétiques ou naturelles qui permettraient potentiellement d’arriver à cet objectif.

Il vous faudra cependant abandonner l’idée d’utiliser des instruments et archets anciens ou fabriqués dans certains ateliers prestigieux. Car il serait tout simplement impossible de “véganiser” un violon, alto ou violoncelle ancien, il en va de même pour leurs archets. Cependant, il vous reste toujours la possibilité de faire vos propres choix et de trouver ou faire fabriquer exactement ce qu’il vous faut.

 

Une alternative radicale : le violon en carbone

Il existe une alternative entièrement végane au violon traditionnel : un instrument en fibre de carbone. Il s’agit de feuilles de carbone tissées et figées à l’aide de résine. Un matériau théoriquement parfait pour la musique puisque léger et résistant. De plus, un instrument de ce type est presque entièrement synthétique et est parfaitement jouable par un musicien végan.

 

 

 

La lutherie et l’archèterie végane en bref

Afin de récapituler ce qu’il vous faudra exactement pour profiter de votre violon, alto, violoncelle et archet végan, voici un petit résumé :

 

Violon, alto ou violoncelle

  • Colle synthétique ou végétale pour assembler les pièces
  • Filets en bois
  • Accessoires en bois ou avec ornements synthétiques ou en métal
  • Sillets en bois
  • Vernis à l’huile avec colorants végétaux et minéraux
  • Cordes en métal ou synthétique

 

Archet

  • Plaque de tête en métal, il vaut mieux éviter le plastique, ce n’est pas assez solide
  • Hausse en ébène ou néo-ébène
  • Recouvrement en métal ou en bois
  • Bouton sans nacre
  • Garniture en or, argent ou maillechort pur
  • Poucette en cuir synthétique ou végétal.

 

De cette manière, vous pourrez directement vous rendre chez votre luthier ou archetier et lui présenter votre cahier des charges de la lutherie et archèterie végane. Il pourra ainsi vous aider à trouver ce qu’il vous faut pour enfin posséder un instrument et un archet en adéquation avec vos convictions.

 

La boutique en ligne de mon atelier de lutherie

Si vous êtes curieux, vous pouvez aussi visiter la boutique en ligne de mon atelier de lutherie. Dans celle-ci je vous propose de retrouver tous les produits végan grâce à l’étiquette que je leur ai attribué pour vous aider dans vos choix. Dans tous les cas vous pouvez aussi me contacter pour que je m’occupe de trouver ce qu’il vous faut.

 

Découvrez les produits non-animal de la boutique

 

2 Responses

  1. Bonjour,

    Merci beaucoup de vous intéresser à ce sujet. Étudiant la musique ancienne, j’hésitais justement entre me mettre au violone et au cornet (rien à voir) et une de mes préoccupations est la présence de produits animaux dans les instruments. Je suis étonnée de la quasi-absence de débat sur ces questions parmi les instrumentistes, et sincèrement très heureuse qu’un luthier s’en empare. Pour l’instant je vais peut-être me rabattre sur la chalemie. Je suis très curieuse en tout cas de votre expérimentation de facture d’instruments qui n’implique pas la mise à mort d’animaux.

  2. Michel SEBBAN
    | Répondre

    Merci infiniment pour cet article très professionnel, précis et précieux pour les gens concernés.
    Bien à vous
    MS

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