Pourquoi intégrer une formation de lutherie en alternance ?

avec Aucun commentaire

Une formation de lutherie en alternance, c’est possible ! Lorsqu’on parle de lutherie, et de la manière de s’y former, on pense toujours aux écoles renommées d’Europe : Crémone, Newark, Mirecourt, Mittenwald…On songe rarement voire jamais, en revanche, au CAP et à l’alternance.
Je m’appelle Oriane, et je suis apprentie en première année de CAP lutherie. Ma formation pratique se déroule à l’atelier de M. Guillaume Kessler, à Strasbourg ; tandis que ma formation théorique a lieu à la SEPR (Société d’enseignement professionnel du Rhône) de Lyon. Cet article et ceux qui suivront ont pour but de faire découvrir cette façon de se former à la lutherie en partageant mes expériences.

Atelier de lutherie à Strasbourg

Pourquoi intégrer une formation de lutherie en alternance ?

Ce qui suit est, subjectivement et sans exhaustivité, une liste des points forts et des points faibles de la formation en alternance ; pour en comprendre les grandes dynamiques, et pour avoir conscience de tout ce qu’elle peut apporter, tout comme de ce qui pourrait lui manquer. L’objectif n’est ni de dénigrer la voie des traditionnelles écoles, ni de faire l’apologie absolue du CAP, mais de mieux faire connaître ce chemin encore largement ignoré. Le tout est pour chaque aspirant luthier de trouver la formation qui lui conviendra le mieux.

Cet article est complémentaire avec un autre, cliquez ici pour le lire !

Petit rappel

Un CAP (Certificat d’Aptitude Professionnelle) est un diplôme d’études secondaires que l’on prépare en un ou deux ans, dépendant de son niveau d’études. Dans le cas de la lutherie, et parce qu’il est difficile de se former correctement en seulement un an, il est vivement conseillé de faire le cursus sur deux années même si on possède déjà le Bac. La SEPR de Lyon est le seul centre de formation à proposer la lutherie comme apprentissage en alternance en France.

Cet apprentissage est, comme on l’a dit, très méconnu, et les grandes écoles semblent être un passage obligatoire pour tout apprenti luthier. Il est vrai qu’elles constituent le principal moyen d’accéder à une formation de lutherie depuis la disparition de la transmission traditionnelle du maître à l’élève ; et il est rare que des luthiers acceptent de former de jeunes débutants non diplômés, comme la pratique du compagnonnage établi depuis le Moyen-Âge le permettait autrefois.

Le CAP est ce qui se rapproche le plus de cette transmission maître-élève au cœur d’un atelier : la formation se partage entre la « pratique » à l’atelier (trois semaines dans le mois environ), et la « théorie » à l’école (une semaine par mois). Ces deux notions sont entre guillemets car elles n’expriment pas pleinement la réalité de la répartition des apprentissages : à l’atelier, pratique et théorie se mêlent sans cesse au fil des explications et des démonstrations du maître.

 

Que peut apporter l’apprentissage par l’alternance vis-à-vis d’une école ?

Comprendre et expérimenter les réalités de l’atelier

C’est là la différence majeure avec l’école de lutherie. Beaucoup de luthiers témoignent de leur inexpérience au sortir de l’école, au moment de rentrer dans un atelier après avoir fraichement décroché le diplôme. A l’école, un violon est réalisé en une année entière, un montage en un mois ; mais le travail doit être beaucoup plus rapide et efficace dans une entreprise. L’école ne rend pas compte de ce qu’est, concrètement, le travail à l’atelier. Le CAP permet ainsi une immersion immédiate dans ce qui peut et va probablement devenir le quotidien de l’élève au sortir de sa formation. Accueillir les clients, leur fournir des explications, réaliser un travail précis et rapide, s’adapter à la demande de chacun, faire face aux imprévus, sont autant de choses qui ne peuvent être pleinement expérimentées que directement à l’atelier.

Il faut noter que le quotidien d’un luthier n’est pas la fabrication pure, mais comprend aussi et surtout l’entretien, la réparation, la vente, la location, parfois la restauration des instruments…Il est difficile de vivre de la conception et de la vente de ses propres violons ; aussi des tâches comme changer des cordes ou réparer un chevalet cassé sont-elles autant d’actions qui font partie du travail prosaïque certes, mais nécessaire, du luthier.
Travailler à l’atelier permet d’éviter toute désillusion et de comprendre ce qui fait, de la fabrication à la vente, le plein métier de luthier. Chaque entreprise toutefois est différente, et chaque luthier consacre le temps qu’il veut et qu’il peut à chacun des domaines cités.

 

Apprendre à gérer une entreprise

L'atelier à Strasbourg, avec tous les outils
Travailler dans un atelier est une vraie chance

Être plongé au cœur d’un atelier permet d’en comprendre les rouages. Celui de M. Kessler se construit et s’affirme de plus en plus comme une véritable entreprise, qui réfléchit aux notions de marketing, de développement commercial, de développement sur les réseaux sociaux…Il s’agit de prendre conscience de tous les paramètres propres à la création d’une entreprise qui gravitent autour d’une activité centrale, quelle qu’elle soit. Avoir une idée des prix, calculer ses dépenses, faire des investissements judicieux, avoir les outils en main pour fonder sa propre entreprise, sont des choses que le CAP peut apporter. L’école propose d’ailleurs un cours de gestion de l’entreprise pour compléter cette approche.

Dans l’ensemble, il s’agit de penser sur le long terme la potentielle création d’un atelier, de songer à son installation professionnelle future, même si, en débutant la formation, il n’est pas toujours évident de s’y projeter. Il faut bien mesurer la difficulté de se lancer dans la création autonome d’une entreprise, quel que soit le domaine ; et la lutherie n’échappe pas à ces problématiques que l’on a tendance à ignorer le temps de l’école. L’ancrage de la formation en alternance dans le milieu professionnel permet donc à l’apprenti d’être immédiatement « dans le bain ».

 

Multiplier les rencontres et les opportunités

L’atelier est également un lieu de passage, de travail et de rencontre. Celui de M. Kessler accueille régulièrement des stagiaires, sur une ou plusieurs semaines, qui s’essayent à la réalisation – tout ou partie – d’un instrument. C’est l’occasion de côtoyer des personnes aux profils très différents, de l’adolescent au retraité, du novice à l’amateur ; mais aussi des professionnels qui peuvent louer ponctuellement une place à l’établi et venir travailler ici. Des luthiers peuvent aussi travailler à temps plein à l’atelier. Avec toutes ces personnes, on peut discuter, échanger, voir comment chacun travaille, observer les techniques et récolter les astuces propres à chaque luthier, et ainsi enrichir sans cesse ses connaissances en se confrontant aux autres.

Être aux côtés d’un maître d’apprentissage donne aussi la chance d’aller dans des salons ou des conventions, et de participer à des projets. A peine plus d’un mois après le début de ma formation, nous sommes allés au salon international de la lutherie de Crémone, où l’on peut parler aux commerçants et aux luthiers, glaner des informations, acheter des matériaux…C’est le genre d’opportunités qui s’offrent aux apprentis qui suivent le rythme de travail de leurs maîtres.

 

 

Quels peuvent être, en revanche, les points faibles d’une telle formation ?

Moins de temps consacré à la fabrication

Lorsque l’on commence sa formation, on n’a pas envie de songer à faire ses calculs pour fonder une entreprise, mais avant tout de fabriquer des instruments ; or, la fabrication n’est pas toujours l’activité principale d’un atelier de lutherie. Sur les horaires officiels, l’apprenti doit réaliser des tâches propres à l’entreprise. On fera des montages ou des petites réparations, des préparations de commandes, de l’emballage d’instruments, de la mise en carton, du nettoyage, autant de tâches qui, à nouveau, sont essentielles dans un atelier et tout aussi enrichissantes. On peut avoir envie d’entrer plus en profondeur dans la création des violons, mais cela se fera plutôt en dehors des heures officielles évoquées. Le soir et les week-ends peuvent être mis à profit pour avancer sur des projets personnels, encadrés bien sûr par le maître d’apprentissage.

En tous les cas, il est certain que tout apprenti en CAP apprendra à construire des instruments, puisque cela fait partie des compétences officielles à acquérir ; toutefois cela n’occupera pas toutes ses journées comme à l’école. C’est aussi finalement la grande diversité des tâches qui fait que l’on ne s’ennuie jamais à l’atelier.

 

Un manque de camaraderie durant la formation de lutherie

C’est à mon sens le plus gros manque dans ce CAP. D’une part, la partie en classe, avec d’autres élèves, ne constitue qu’un petit quart de la formation ; d’autre part, ce n’est pas un CAP de lutherie mais un CAP dit « Métiers Rares », qui réunit divers aspirants artisans dans des branches différentes. L’école offre l’opportunité d’être en permanence au contact de jeunes de la même génération, et donc de se constituer un réseau avec ceux qui deviendront aussi luthiers. Echanger avec des apprentis, partager les mêmes peines ou les mêmes satisfactions, avancer ensemble, se donner des conseils, travailler en groupe sur des projets, sont autant de belles perspectives qui, en effet, peuvent manquer avec l’alternance.

La partie à la SEPR toutefois s’avèrera peut-être intéressante de ce point de vue, même sans être avec d’autres luthiers. L’atelier offre d’autres contacts, permet des rencontres différentes ; dans l’idéal, il serait intéressant de mêler les deux.

 

En conclusion sur la formation de lutherie

L’alternance fait de l’apprenti un jeune employé au sein d’une entreprise, qui touche un petit salaire et participe activement – tout en apprenant, et à son échelle – au fonctionnement de la structure qui l’accueille. Il est dommage de négliger le choix de l’alternance et du CAP, des formations qui sont peu mises en valeur en France. Cette voie permet de comprendre ce qu’un atelier attend d’un employé, et d’acquérir les gestes, rapides et sûrs, du métier manuel, en revenant à un mode d’apprentissage qui se rapproche plus de la transmission traditionnelle de maître à élève. Tout ceci permet de prendre en compte les enjeux relationnels, sociaux et commerciaux qui gravitent autour de la fabrication des instruments, et de comprendre la profession dans toute son entièreté.

 

Continuer à lire sur ce sujet avec l’article suivant ainsi que l’article Se former à la lutherie par l’alternance

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *